Commettants, préposés : culpabilité pénale et responsabilité civile


Les conditions d’exonération du commettant, responsable de plein droit des dommages causés par ses préposés depuis l’arrêt Costedoat du 25 février 2000, alimentent un abondant contentieux. La seule constatation de la commission d’une infraction intentionnelle par le préposé ne peut dispenser le commettant de mettre en évidence un abus de fonctions de son préposé, cause exonératoire de sa responsabilité : telle est la position retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 mai 2011.

Le commettant est défini comme celui ou celle qui charge une personne, nommée préposé, d’une mission dans l’exécution de laquelle le préposé lui est subordonné. À titre d’exemple, dans un contrat de travail, l’employeur est le commettant et les salariés sont les préposés. L’article 1384, alinéa 5, du code civil prévoit que les commettants sont responsables « du dommage causé par leurs […] préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Il s’agit d’une responsabilité de plein droit, ou objective : à la différence du régime de responsabilité pour faute prévu aux articles 1382 et 1383 du code civil, la victime n’a pas à prouver la faute du commettant. L’arrêt Costedoat du 25 février 2000 énonce que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». Le commettant peut néanmoins s’exonérer de sa responsabilité dès lors qu’il démontre un abus de fonctions de la part de son préposé. Défini par la Cour de cassation dans une décision d’assemblée plénière du 19 mai 1988, l’abus de fonctions est caractérisé lorsque le préposé a « agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions », ces trois critères étant cumulatifs. Toutefois, le commettant ne pourrait-il pas s’exonérer de sa responsabilité dans l’hypothèse d’une faute intentionnelle de son préposé ? Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation répond à cette question par la négative.

En l’espèce, trois salariés d’une discothèque exerçant les fonctions de « videurs » ont blessé un client en l’expulsant de l’établissement. Condamnés pénalement pour violences volontaires, ils doivent sur le fondement d’une action civile verser des dommages et intérêts à la victime. Les trois défendeurs étant certainement insolvables, celle-ci a saisi le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGVAT), qui l’a indemnisée. Dans le cadre d’une action récursoire, le FGVAT s’est ensuite retourné contre la société employeur des trois « videurs » en sa qualité de commettant, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 5, du code civil.

La cour d’appel de Riom retient l’existence d’un abus de fonctions au motif que les préposés ont commis une infraction intentionnelle, peu important que celle-ci l’ait été dans le cadre de leur activité professionnelle. Pour les juges du fond, la responsabilité des commettants « ne vaut pas pour les dommages causés par des actes délictueux […] intentionnels, commis par un préposé […], fût-ce dans le cadre de l’activité salarié et sur les lieux de travail, actes délictueux dont la seule responsabilité, y compris dans ses conséquences et obligations réparatrices, ne peut appartenir qu’à l’auteur ». L’infraction intentionnelle révèle donc nécessairement un abus de fonctions exonératoire de responsabilité pour le commettant et ce même si le préposé a agi dans le cadre de son activité salariée et sur son lieu de travail.

Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation censure cette décision au motif que la commission par le préposé d’une infraction intentionnelle n’implique pas automatiquement un abus de fonctions de sa part. Pour la Cour de cassation, les motifs de la cour d’appel sont « impropres à établir l’existence des conditions d’exonération de l’employeur ». La seule constatation de la commission d’une infraction intentionnelle est insuffisante à établir l’existence d’un abus de fonctions. Cet abus doit être caractérisé au regard du contexte de commission de la faute par le préposé et non pas au regard de sa gravité. Les critères de l’abus de fonctions définis par la jurisprudence du 19 mai 1988, et ceux-là seuls, doivent être remplis.

Cette conception stricte de l’abus de fonctions défendue par la Cour de cassation, qui limite rigoureusement les possibilités d’exonération pour le commettant, vise sans doute à protéger les victimes du risque d’insolvabilité de l’auteur du dommage en leur permettant de recevoir une indemnisation pleine et entière de son préjudice. En effet, si en cas d’insolvabilité de l’auteur du dommage il est possible de se tourner vers le FGVAT, celui-ci peut n’accorder qu’une indemnisation limitée conformément aux articles 706-3 à 706-14 du code de procédure pénale, qui prévoient notamment des conditions de ressources. Le risque de voir les salariés préposés profiter de leurs fonctions pour en abuser relève du risque que doit supporter le chef d’entreprise commettant. À charge pour ce dernier de mettre en place une politique adaptée de prévention et de contrôle de ses préposés afin d’éviter des dérives comparables à celles qui ont conduit au prononcé de cet arrêt.

Par NeoBarreau
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